Photo © Richard Louvet

Étale, Myriam Gourfink

Par Guillaume Rouleau

Publié le 7 juillet 2016

Pour sa 5e édition, le festival Extension Sauvage accueillait en résidence Myriam Gourfink dont les travaux partent de la notation Laban – tentative de partitionnement des chorégraphies – et de la respiration. La danseuse et chorégraphe retrouve pour l’occasion des partenaires de longue date : les musiciens Kasper T. Toeplitz et les trois danseuses Carole Garriga, Deborah Lary et Véronique Weil. Une création intitulée Étale – adjectif qui a pour synonymes « immobile », « calme », « fixe » et « stationnaire » – lente distorsion sonore et visuelle de près d’une demi-heure.

Cette distorsion, dans le prolongement de la pièce d’Emmanuelle Huynh et d’Erwan Keravec pour son expérimentation sonore et son rythme, étiré, s’en démarquait par la disposition des danseuses, des instrumentistes et le déroulement de la pièce. Les interprètes étaient positionnés en triptyque face au public : les danseuses sur la gauche, Kasper T. Toeplitz sur la droite et Stevie Wishart surélevée au centre. C’est en s’asseyant sur les rondins de bois en rangées le long d’un étang que l’on devine, à quelques mètres, des corps allongés sur la pente de terre parcourue de lierre. Trois jeunes femmes, dont seuls les visages sont découverts, se fondent dans le paysage. La démarcation est nette avec les musiciens, en retrait, entourés de caisses métalliques de transport de matériel. Quant à la structure de la pièce, ce sera une succession continue de sons d’instruments rares et de gestes des trois danseuses à la chorégraphie minutieuse. Une succession étale, d’apparence stationnaire, faite de déplacements en oxymore, à la fois infimes et colossaux.

Étale associe une musique savante, réflexion poussée au sein d’un système musical, à une parcelle de forêt, aux matières et formes végétales soumises aux saisons, spectacle naturel d’un changement graduel. Oskar T. Toeplitz, [qui signait déjà la composition de la première pièce d’Emmanuelle Huynh Múa en 1994 ou, plus récemment, à la fondation Louis Vuitton interpréter une partition d’Eliane Radigue] est entouré de deux cymbales et d’un ordinateur auquel est relié une octobasse électrique, instrument à corde le plus grave dans sa version sèche, certaines des notes jouées étant à peine perceptibles par l’oreille humaine. Ses vibrations se rapprochent de celles d’un tremblement de terre, d’un écroulement, de l’orage. Des notes relevées par la vielle à roue (instrument de musique à cordes frottées par un archet) de Stevie Wishart, spécialiste de musique médiévale. Les notes, les accords aigus se fondent aux nappes d’octobasse, amplifiés par un dispositif électrique fait d’enceinte et de pédales d’effets.

La vielle (trafiquée) réimpose une dynamique sonore cyclique, un mouvement circulaire du bras qui tourne la manivelle, une manivelle qui remplace l’archet dans le frottement des cordes. Le rapprochement est loin d’être incongru puisque la vielle à roue et la cornemuse ont en commun d’être des instruments à bourdon, c’est-à-dire, qu’ils permettent de tenir une note dans un registre grave à laquelle sera ajoutée une mélodie. Son nom anglais, drone, est aussi le nom du courant musical qui se sert du bourdon pour des morceaux longs et graves. La mélodie est ici reléguée à des masses sonores qui ont cette capacité de provoquer un état méditatif intense, l’acoustique de la forêt s’y prêtant parfaitement.

La méditation passe par la vue du paysage dans lequel se trouvent les danseuses, immobiles lorsque le public prend place et qui s’animent avec les premières vibrations. Tandis que les danseurs resteront à côté de leurs instruments, les danseuses vont longer la pente de terre, parmi les racines, les troncs, vers le public. Elles resteront silencieuses, se croiseront et s’éloigneront, discrètement. Chacune capte les ondulations des deux musiciens selon l’adaptation que Myriam Gourfink a fait de la notation Laban, induisant de nouveaux rapports au corps. La composition, qu’elle concerne la musique ou le corps des danseurs, privilégie une découpe du temps et de l’espace. La forêt du domaine de la Ballue devient alors le théâtre de ce décalage que les mots peuvent suggérer sans le capturer entièrement.

La représentation d’Étale de Myriam Gourfink est une opportunité rare de voir réunis ces compositeurs, interprètes, improvisateurs, danseurs dans un cadre où le drone vrombit dans les moindres parcelles de terre, d’écorce, de feuilles, dans tous les corps et dont la pesanteur, l’apesanteur, provoque une foule d’échos. Une extension musicale entre le sauvage et la domestication. Une domestication vaine car le son produit échappe a jamais à celui qui le produit. Une domestication nécessaire car l’ordonnancement des sons est la condition de la musicalité. Un moment d’expérimentation qui contribue à l’exceptionnel du festival et de ses interprètes.

Vu dans le cadre du festival Extension Sauvage. Chorégraphie Myriam Gourfink. Avec Carole Garriga, Deborah Lary et Véronique Weil. Composition et octobasse Kasper T. Toeplitz. Photo de © Richard Louvet.