Photo Alex Baczynski Jenkins

Festival DO DISTURB 2017 au Palais de Tokyo #1

Par Helena van Riemsdijk

Publié le 24 avril 2017

Du 21 au 23 avril dernier a eu lieu la première 3ème édition du festival Do Disturb au Palais de Tokyo à Paris. Pendant trois jours, le temps d’un weekend, le Palais de Tokyo s’est transformé en un lieu d’expériences sensorielles et interactives. Plus de 40 propositions, et autant d’artistes, ont envahi, habité et transformé le bâtiment en lieu vivant et mouvant. Reparti sur 3 étages et 2 sous-niveaux le festival pose un cadre spécifique à la présentation des projets qui transforment le spectateur en participant presque malgré lui. Entre installations plastiques, performances itinérantes, théâtre et danse, chaque proposition est bousculée et influencée par toutes les autres alentour. L’ambiance de cet évènement artistique éphémère est constituée de proximité et de diversité. Parmi les multiples performances présentées pendant le premier soir, certaines ont été particulièrement remarquées par leur originalité.

Pablo Tomek et l’art à emporter

Le street art, ou art urbain, consiste à créer ou à reproduire des œuvres d’art sur des murs, panneaux, voitures et tout autre support visible dans l’espace public. Du graffiti à la mosaïque, ce mouvement artistique cherche à rendre visible ses œuvres au plus grand nombre, s’inscrivant pleinement dans la culture de masse et de subversion des espaces publics.

Pablo Tomek est street artist, il vit et travaille à Paris. Ses œuvres ne sont pas inconnues dans les galeries d’art et dans les musées, mais son médium de prédilection reste l’espace public : La « toile blanche » d’un mur ou d’une fenêtre. Pour le festival Do Disturb 2017, il a décidé de modifier le support sur lequel ses œuvres sont habituellement exposés. En collaboration avec des maquilleurs professionnels, il propose ainsi au public de « repartir avec une de ses [mes] œuvres chez lui [eux] ». Concrètement, ses œuvres sont peintes sur le visage de tous ceux qui souhaitent participer à la performance. Une alternative est proposée entre un travail autour de couleurs sobres et proche de l’aquarelle, et un travail plus géométrique en noir et blanc, mélange de couleurs chaudes et de dessins courbes, avec signature de l’artiste.

Quel pouvoir Pablo Tadek donne-t-il au public sur son travail ? Au-delà des interrogations qui peuvent se poser sur l’impact du fait de porter l’œuvre et/ou la signature d’un artiste sur son propre visage, sans aucun rapport avec de l’idolâtrie, cette proposition interroge sur la signification de la mobilité d’une œuvre d’art en dehors de son espace d’exposition, sur l’acte de la faire entrer chez soi et de décider volontairement du moment où elle ne sera plus « exhibée » et disparaitra.

Zoufri de Rochdi Belgasmi 

Zoufri ou « ouvrier » en tunisien est un projet chorégraphique conçu et performé par Rochdi Belgasmi. Crée en 2013, il est repris dans le cadre du Festival dans l’espace Grande Rotonde. Le public, sans espace spécifique assigné, se place en demi-cercle autour du danseur, débordant un peu dans le passage juxtaposé et un peu sur l’escalier attenant qui mène aux niveaux supérieurs, à la recherche d’une vue dégagée.

L’artiste commence par une explication : Quelle est l’origine de ce travail autour de la multitude de formes de danse traditionnelles en Tunisie ? Pourquoi choisir de travailler sur la danse comme forme d’adaptation, de mémoire populaire et de résistance ? Comment travailler à la fois sur des danses populaires et sur des scènes contemporaines ? En trois parties, présentées à la manière d’une recherche académique, l’artiste montre par la parole autant que par le corps, comment les gestes quotidiens des ouvriers se sont transformés en gestes dansés jusqu’à devenir partie intégrante des danses traditionnelles de chaque région. Il montre également comment les accents marqués des pioches deviennent des gestes saccadés des bras qui agitent un foulard et comment la frappe des pieds donne un rythme et un sens à la danse.

Il présente ensuite le Rboukh, danse la plus pratiquée en Tunisie de nos jours par les hommes et les femmes. C’est une danse festive et de partage qui, selon l’artiste, est également une manifestation contre l’obscurantisme, le salafisme, le fanatisme et le racisme, une danse qui est par définition contemporaine. Un collage de danses et de musiques, entrecoupées par l’annonce de chacune des régions d’où elles sont issues compose la fin de la performance. L’aspect très physique des mouvements du bassin et la précision des mouvements des pieds se fait ressentir quand la fatigue du danseur devient apparente et quand sa parole est entrecoupée par ses souffles, sans pour autant que le rythme ne se perde. À la fin de sa conférence dansée, Rochdi Belgasmi invite le public à danser à son tour et à le suivre au rythme de la musique.

Us Swerve d’Alex Baczynski-Jenkins

Alex Baczynski-Jenkins a investi l’espace de la galerie haute se situant au 3ème niveau pour réaliser sa performance Us Swerve, crée en 2016. Deux ou trois performeurs en roller circulent dans l’espace ouvert et autour des escaliers. Sans entrer en contact, ils se déplacent en cercle en restant toujours proches les uns des autre. Une sorte jeu du chat et de la souris se met en place, les changements de direction et de rythmes se font en synchronie mais sans que le public ne comprenne bien la manière dont les décisions sont prises.

Des bribes de mot et de phrases se font entendre. Elles ne semblent ni être des consignes ni être les mêmes pour les deux hommes. C’est le texte de présentation qui révèle leur contenu : Les performeurs déclament de la poésie et des vers sur le désir. Ils puisent dans les archives d’écrivains comme Essex Hemphill, Eileen Myles et Langston Hughes. Leur danse prend soudain un aspect plus sensuel et une nouvelle tension apparait dans leur rapport qui joue entre la proximité et la distance. Leurs mouvements répétitifs, toujours circulaires, vont chercher également dans leur fatigue et dans leur capacité à réagir rapidement à un changement ou encore à dévier de la trajectoire d’un spectateur qui essaye de rejoindre les escaliers. Cette performance met en lumière un autre rapport à l’autre, qu’il soit performeur ou spectateur, à travers des modalités d’attraction et de répulsion des corps.

Le spectateur ressort du Festival Do Disturb au Palais de Tokyo avec une multitude de sensations et d’interrogations. Toutes ces propositions mettent ses sensations et son ressenti au premier plan et au cœur du déroulement des performances en l’invitant à réfléchir sur les rôles et les revendications de l’art et de ses démonstrations.

Photo Us Swerve / Alex Baczynski-Jenkins © Atelier Diptik