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Beach Birds & Inlets 2, Merce Cunningham

Par Céline Gauthier

Publié le 11 décembre 2017

Le jeune ballet du Centre national de danse contemporaine d’Angers dirigé par Robert Swinston revisite le temps d’une soirée deux courtes pièces de Merce Cunningham, Inlets 2 (1983) et Beach Birds (1991). Chacune à sa manière s’inspire de l’écoulement de l’eau, le long d’un ruisseau ou au bord de la mer. La partition de John Cage y fait elle-même écho, composée pour un orchestre de coquillages et de bâtons de pluie dans lesquels l’eau bruisse et s’écoule en de légers clapotis, entrecoupés parfois par de rares notes de piano. Une atmosphère aqueuse et cristalline s’étend sur le plateau nu, baigné d’une douce lumière orangé pour Inlet 2, d’une pénombre bleutée dans Beach Birds.

Sur scène se déploie l’épure d’une danse calligraphique qui dessine avec les silhouettes des danseurs les lignes les plus complexes ; des tours planés s’achèvent par une bascule du bassin pour une arabesque buste ployé, des cambrés démesurés s’opposent à la courbe d’une jambe en attitude.

L’abstraction figurale de la chorégraphie pourrait confiner à l’étouffement du corps des interprètes, accaparés par une danse exigeante composée par la juxtaposition aléatoire d’une gamme de soixante-quatre gestes prélevés dans le vocabulaire de la danse classique. C’est pourtant dans les interstices de cette partition rigoureuse qu’affleure une perception plus fine des flux d’énergie qui animent les danseurs et le cheminement des gestes en eux : un bref sursaut avant que ne s’immobilise une arabesque, un battement léger de la main rappellent que la danse de Cunningham consiste moins en l’accomplissement de figures statiques qu’en l’incorporation de lignes dynamiques, spatiales et gravitaires. La plante des pieds nus se dépose fermement dans le sol, le presse de petits frottements ou l’effleure juste d’un orteil par un rond de jambe glissé. Sans un bruit les danseurs se laissent osciller doucement – le torse bascule dans un mouvement de balancier, puis jaillissent par une brève détente, à peine un saut ; bondissement fugace qui marque l’extraction du sol.

Sept puis onze danseurs habitent le plateau d’unissons limpides ou de trajets plus solitaires, qui creusent la scène de larges perspectives, délaissées puis comblés par une profusion de silhouettes. Beach Birds offre aux interprètes l’occasion de délicats trios réduits à un unique partage du poids : ils accentuent le tracé des lignes de bras en frises communes mais discontinues, soulignées par leur costume, un académique blanc qui enveloppe seulement de noir les bras et le buste ; il pourrait évoquer le plumage d’une mouette. D’ailleurs un frisson de l’épaule, un vif tressaillement de la tête ou le frémissement des jambes qui semblent s’ébouriffer de la hanche à la pointe des orteils composent une gamme de mouvements furtifs et imprévisibles, dans une évocation fine des postures hâtives des oiseaux.

Avec audace, le ballet du CNDC se frotte à deux pièces fondamentales du répertoire de la post-modernité américaine, aujourd’hui élevées au rang de mythes. L’incorporation de partitions chorégraphiques concises et épurées par de jeunes danseurs aujourd’hui nourris de multiples influences en permet une relecture vivifiante.

Vu au Centre national de danse contemporaine d’Angers. Chorégraphie Merce Cunningham. Reconstruction Robert Swinston. Musique John Cage. Avec Marion Baudinaud, Matthieu Chayrigues, Ashley Chen, Anna Chirescu, Pierre Guilbault, Gianni Joseph, Haruka Miyamoto, Adrien Mornet, Catarina Pernao, Flora Rogeboz, Carlo Schiavo, Claire Seigle-Goujon. Photo Beach Birds © Charlotte Audureau.