Photo CrashPark3 creditMartin Argyroglo

Crash Park, la vie d’une île, Philippe Quesne

Par François Maurisse

Publié le 26 décembre 2018

Crash Park, la vie d’une île, la nouvelle création de Philippe Quesne, témoigne une fois encore des tropismes du metteur en scène. Directeur du Théâtre Nanterre-Amandiers depuis 2014, il se plaît à mêler son activité de programmateur et de conducteur de projets au CDN et la création de pièces à l’image du lieu, prônant les valeurs de la communauté, du rassemblement et d’une certaine poésie du vernaculaire. Le nouvel opus met en place une scénographie léchée et toute puissante dans laquelle une ribambelle de personnages débonnaires évoluent, enchaînant des séquences à la fois surprenantes, pince-sans-rire et hypnotisantes. Grâce à sa méthode de travail (empruntée aux entomologistes …), il déploie, dans une confiance absolue envers les artifices théâtraux, une écriture de plateau qui tente d’étudier les façons dont les individus et les corps entrent en relation avec les espaces, les objets, les lieux et les personnes qui constituent leur environnement.

Après une clairière enneigée, une résidence d’artistes dans un marais, une grotte – terrier de taupes, un espace muséal romantique croisé avec un studio de western spaghetti, Philippe Quesne décide cette fois de catapulter sa compagnie sur une île déserte, juste après le crash d’un avion. Débarqués avec valises et vêtements de ville, les personnages hagards se lancent muets à la découverte de cet environnement étrange, sorte de carton-pâte de parc d’attraction qui caricature les principales caractéristiques de l’île sauvage : la carcasse d’un avion, une étendue d’eau, des rochers et une île plantée de palmiers en plastique constituent leur aire de jeux.

Ce décor de cinéma devient la toile de fond dans laquelle un micro-récit se développe, à rebours de l’épique habituel du genre, ponctué de références plus ou moins développées, égrainées pendant le spectacle par une Isabelle Angotti munie d’un mégaphone : Stevenson, Homère, Shakespeare, Jules Verne, ou Deleuze … Bien que ces entrées bibliographiques convoquent des figures de philosophes ou d’écrivains, l’influence du cinéma est par ailleurs soulignée. Les scènes d’actions ( comme lorsque le groupe tente de traverser une étendue d’eau suspendus à une corde ) ou de découverte de l’île ( quand ils marchent longtemps autour de l’île, tournant elle-même en sens inverse ) rappellent, grâce à des artifices théâtraux, les mécaniques du 7ème art, figurant un travelling ou des effets spéciaux qui lui sont propres.

Si les comédiens, comme toujours chez Quesne, conservent une diction timide et semblent entièrement dévolus à un émerveillement naïf face à leur environnement, ils dévoilent, dans Crash Park, leurs corps. Alors qu’ils sont souvent affublés d’accessoires divers – de la perruque de métalleux ringard au costume de taupe des plus sophistiqués – une scène les voit ici se dénuder et entamer une danse, dans le pastiche d’une curieuse pulsion rituelle, les invitant à mettre en scène un spectacle primitif, se servant de feuilles et d’herbes en plastique comme vêtements d’apparat. Les idées de rassemblement, d’amorce de pensée sacrée, de célébration d’être ensemble et de fête sont esquissées … mais des propos plus politiques, mettant par exemple en jeu les mécanismes de survie se créant au sein d’une communauté de naufragés, manquent cruellement à l’appel. En effet, le parti pris est celui de la rêverie et de la fantaisie, jamais celui de la fable engagée qui viendrait salir la blanche virginité de l’utopie.

Le choix de la poésie est en effet assumé jusqu’à la fin. Alors qu’auparavant chaque ressort de la représentation était déjà contenu dans le décors ou dans son champ iconographique (les perturbations causées par un poulpe géant mythologique, l’ouverture d’un tiki bar au coeur de l’île …), la stricte écologie éclate pour voir la transformation du décors en un vaisseau spatial tournant sur lui-même, au son du Fly Me To The Moon de Frank Sinatra. Ce pied de nez à l’attente des spectateurs, qui pensaient pouvoir assister à la prise de position du metteur en scène face aux problèmes liés aux migrations de masses, à la colonisation et à la domination de l’homme sur son environnement, lui permet sans doute d’échapper à ces travers et d’insister plutôt sur le théâtre comme un espace idéal de positivité et d’enthousiasme formel. Bien que la thématique mettant en scène des étrangers occidentaux s’installant sur une île sauvage creuse de vrais enjeux sociaux et politiques face auxquels l’art pourrait éventuellement apporter des éléments de réponse, Crash Park, la vie d’une île, ne fait que les effleurer pudiquement.

Vu au Théâtre Nanterre-Amandiers. Conception, mise en scène et scénographie Philippe Quesne. Avec Isabelle Angotti, Jean-Charles Dumay, Léo Gobin, Yuika Hokama, Sébastien Jacobs, Thérèse Songue, Thomas Suire, Gaëtan Vourc’h. Lumières Thomas Laigle, Mickael Nodin. Régie son Samuel Gutman. Musique originale Pierre Desprats. Régie générale Marc Chevillon. Photo Martin Argyroglo.