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To come (extended), Mette Ingvartsen

Par Wilson Le Personnic

Publié le 10 octobre 2017

« Notre rapport à la sexualité à évolué depuis ces dix dernières années », soulève la chorégraphe et danseuse danoise Mette Ingvartsen lors de sa conférence aux Beaux-Arts de Paris face à un parterre d’étudiants attentifs. Notamment à travers la publicité et les réseaux sociaux, précise-t-elle. « Les représentations de la sexualité sont partout, le sexe fait vendre, et le sexe dérange. Il suffit de regarder sur Facebook, toutes mes vidéos sont automatiquement supprimées, censurées, même mon nom est blacklisté ». Après avoir réalisé une série de performances au sein desquelles les corps s’effaçaient aux profit de l’objet et de l’espace, Evaporating landscapes (2009), The Light Forest (2010) ou The Artificial nature Project (2012), la chorégraphe travaille depuis 2014 à un nouveau cycle de performances intitulé The Red Pieces autour de la sexualité et de la représentation des corps dans la société contemporaine.

De ses premières recherches émerge en 2014 le solo 69 positions qui prend la forme d’une conférence performée nue au sein du public, autour du statut politique du corps dans les années 60 et de la liberté sexuelle. « Aujourd’hui, je suis d’avantage préoccupée par la relation entre la sexualité, la nudité et le plaisir dans la sphère publique. La question de la manipulation affective et de la maîtrise corporelle dans l’ère du capitalisme affectif est à mes yeux très frappante. » nous confiait-elle lors d’un entretien réalisé en 2014 après la représentation de 69 positions au Centre Pompidou à Paris. Arrive ensuite 7 pleasures en 2015 pièce pour une douzaine de danseurs, autour des pratiques sexuelles contemporaines, notamment à travers l’utilisation d’objets et d’accessoires.

Après y avoir présenté ces deux premières performances, Mette Ingvartsen revient au Centre Pompidou avec sa nouvelle création to come (extended) programmé dans la cadre du Festival d’Automne à Paris. En reprenant les matériaux de son ancienne pièce to come créée en 2005, la chorégraphe continue d’explorer les possibilités synergiques du groupe avant son prochain solo 21 Pornographies. « J’avais envie de poursuivre l’aventure avec l’équipe de 7 pleasures » révèle la chorégraphe. Ils sont aujourd’hui quinze sur le plateau, quinze danseurs et danseuses, dix de plus qu’il y a douze ans. Une nouvelle version « élargie » donc, et actualisée au regard des recherches sur la sexualité entreprises depuis par la chorégraphe. Dans la forme, to come (extended) reste proche de sa grande soeur to come. La pièce est composée en trois séquences plus ou moins identiques dans les deux versions, à quelques exceptions près.

La première partie se déroule en silence dans un espace entièrement blanc, surface vierge sur laquelle les quinze interprètes contrastent en zentaï bleu. Intégralement recouvert d’une seconde peau en elasthane qui épouse la forme de leur corps, les danseurs ne sont plus que des silhouettes anonymes, sans âge ni genre. Pétrifiés comme dans un arrêt sur image, les corps sont figés dans des positions qui ne laissent aucune place au doute, allongés sur le dos, jambes écartées, cambrés à quatre pattes, bouches, sexes et fesses offerts : nous sommes bien dans la représentation explicite d’une orgie. Sans visages, ces silhouettes rappellent certaines sculptures du plasticien Daniel Firman. Puis les corps échangent et permutent leurs statuts : les actifs deviennent passifs, les passifs deviennent actifs, des groupes se font et se défont au gré de saisissants tableaux plastiques.

Dans 69 positions, Mette Ingvartsen reprenait déjà cet extrait en intégrant dans son installation une vidéo de to come. Pendant cette performance conférence, elle proposait à un petit groupe de spectateurs de participer à une chorale orgasmique. Muni d’écouteurs et de lecteurs MP3, chaque participant était invité à reproduire oralement les sons qu’il entendait : une série de râles de plaisir jusqu’à l’orgasme. Cette séquence cocasse et loufoque empruntée à to come est également présente dans to come (extended). Cependant, à contrario de la pièce d’origine où les interprètes portaient des vêtements bicolores, la grande chorale est aujourd’hui entièrement nue. Désormais encadrés par un grand rideau drapé bleu déployé depuis les coulisses, les quinze danseurs se tiennent en groupe face au public. Les yeux dans les yeux avec l’audience, ils produisent en choeur une série de petits soupirs et bruits de plaisir avant d’atteindre ensemble un orgasme collectif.

Le doux répit post coït n’aura pas lieu. Ce point d’acmé atteint, les danseurs se débarrassent de leur MP3 et se lancent aussitôt dans une danse endiablée sur le mythique Sing, Sing, Sing de Benny Goodman. Chaussés de simples baskets blanches, les danseurs entièrement nus s’élancent dans un entraînant lindy hop. Les visages s’illuminent, des sourires et des regards complices accompagnent chaque pas de danse. Les partenaires s’échangent dans un énergique ballet de couples. Tout comme dans 7 pleasures, la chorégraphe joue avec la temporalité, « Chaque séquence se dilate dans le temps et permet d’installer une véritable tension » déclare-t-elle. Les corps transpirent, les muscles se raidissent, dans le plaisir de danser jusqu’à perdre haleine. En fractionnant le geste de son intention et de sa forme, Mette Ingvartsen décompose et expose avec brio la fabrique de l’acte sexuel.

Pendant sa conférence, la chorégraphe n’a pas hésité à comparer les partouzes à des métaphores sociales. « Je souhaitais à l’époque voir comment les corps pouvaient prendre différentes positions de pouvoir au sein d’un groupe » souligne-t-elle. « Reprendre la pièce aujourd’hui avec plus d’interprètes permet de multiplier les relations possibles et les mécaniques du désir ». Multiplier les interprètes sur le plateau décompose également le regard : difficile d’isoler un danseur ou une danseuse du reste du groupe, il s’efface désormais dans la foule. Et c’est peut-être ce qui inscrit to come (extended) dans l’ère de Tinder et des applications de smartphone : nous sommes désormais connecté en permanence au sein d’un réseau, absorbé par de nouveaux désirs de consommation.

Vu au Centre Pompidou à Paris danse le cadre du Festival d’Automne à Paris. Concept et chorégraphie Mette Ingvartsen. Avec Johanna Chemnitz, Katharina Dreyer, Bruno Freire, Bambam Frost, Ghyslaine Gau, Elias Girod, Gemma Higginbotham, Dolores Hulan, Jacob Ingram-Dodd, Anni Koskinen, Olivier Muller, Calixto Neto, Danny Neyman, Norbert Pape, Hagar Tenenbaum. Photo © Jens Sethzman.