Photo Marc Ginot

Cochlea, Maguelone Vidal

Par Guillaume Rouleau

Publié le 18 novembre 2016

Cochlea. Le mot renvoie à l’organe intra-auriculaire en colimaçon qui rend possible l’ouïe. Cochlea, c’est également le titre de la performance solo de Maguelone Vidal créée 2014, sous-titré Une histoire intime du souffle à nos oreilles, rejouée cet automne à la Ménagerie de Verre lors du festival Les inaccoutumés 2016. La saxophoniste, qui n’hésite pas à poser son instrument pour d’autres modes de représentation, stimulait les relations entre le cochlea (ce qui permet d’entendre), le souffle (ce qui provoque l’entente) et la musicalité (ce que l’entente produit sur le corps, la pensée).

Du souffle aux oreilles, l’histoire que raconte Maguelone Vidal durant une cinquantaine de minutes, à travers de nombreuses sonorités, souligne l’importance du corps (respiration, audition, etc.) dans l’incorporation des sons : ce que l’on fait des sons avec nos corps (les danser ou les ignorer par exemple) mais aussi comment les sons marquent nos corps (s’en souvenir, les répéter). Maguelone Vidal s’engage dans une compréhension par l’ouïe du performatif.

Pour réveiller nos nerfs auditifs et autres vestibules, Maguelone Vidal, assise sur un tabouret dans la grande salle à plafond bas de la Ménagerie, actionne une souffleuse. Le souffle de cette machine qu’elle met au niveau de sa bouche provoque différentes sonorités, différentes expressions faciales. Le souffle ne vient pas de la bouche mais va vers la bouche avant d’être orienté vers un micro suspendu qui le retransmet en l’amplifiant. Un micro qui capte les sons à l’instar du cochlea. Le souffle se propage, meut l’air, meut les tympans. Des tympans qui vibrent ensuite sur la musique de vinyles tournant sur quatre platines reliées à de grandes enceintes.

Le refrain de « La chanson des jumelles » des Demoiselles de Rochefort au piano est lancé une première fois par Maguelone Vidal. Celle-ci ramène ensuite le diamant sur le début de la galette, encore et encore, et lance le même vinyle sur les trois autres platines. Une mélodie joyeuse, désuète, devient cacophonie dernier cri. Le thème est ensuite actionné sur les indications de Maguelone Vidal, toujours en mouvement, claquant la mesure, chantant les notes, dansant les modulations. La mélodie se répercute dans la salle à en faire vibrer chaque parcelle. Des vibrations que Maguelone Vidal fait osciller de son saxophone basse. En frappant les touches sans souffler dans l’embout. En soufflant tout en saccadant la mélodie. Proposant une variété de sons qui sortent des registres ordinaires, mettant en marche la musique, la musique la faisant marcher en retour, fléchir les genoux, redresser le torse, jusqu’à l’essoufflement.

Maguelone Vidal est derrière une large paroi de plexiglas, saxophone par terre. « Tu sais ce qu’il disait mon grand-père ? ». Son histoire est ponctuée de notes et mots qu’elle souffle, fait vibrer entre nos mains mêmes avec des sphères de bois, pour penser à ce que nos oreilles nous permettent de percevoir, de ressentir, de nous souvenir. Rendez-vous est donné pour une prochaine représentation, remémoration, avec ses dernières pièces – Air vivant (2015,2016), La tentation des pieuvres (2016) et bientôt Le cœur du son – qui placent toujours le cochlea, donc l’écoute, au centre du performatif, donc du faire et refaire.

Vu à la Ménagerie de verre dans le cadre des Inaccoutumés. Conception, composition , dramaturgie, interprétation Maguelone Vidal. Photo Marc Ginot.