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Chut, Fanny de Chaillé

Par Wilson Le Personnic

Publié le 25 mai 2015

Longtemps classés dans la catégorie « théâtre », les spectacles de Fanny de Chaillé ont pour dénominateur commun la parole. La chorégraphe, qui a notamment collaboré avec Alain Buffard, Rachid Ouramdane ou Daniel Larrieu, interroge et dissèque depuis maintenant une quinzaine d’années la puissance et les possibilités de l’oralité dans l’animation des corps. De la performance Le Robert (2000) à Répète (2014) avec le poète Pierre Alferi en passant par Gonzo Conference (2007), Fanny de Chaillé ne cesse d’explorer la plasticité physique et sonore des mots et continue de construire une oeuvre aussi riche que judicieuse.

Créée à seulement quelques mois d’intervalles, la nouvelle création de Fanny de Chaillé, intitulée Chut, est comme un contre-pied à sa précédente pièce Le Groupe. À partir de La Lettre de Lord Chandos d’Hugo von Hofmannsthal, quatre interprètes y exploraient le potentiel des mots du poète autrichien, aussi bien avec la voix qu’avec le corps. Fanny de Chaillé explore aujourd’hui la force du silence. Privé de parole, le comédien Grégoire Monsaingeon, interprète fidèle de la chorégraphe, incarne un émouvant personnage solitaire et silencieux.

Depuis le haut des gradins, un homme en costume tente de rejoindre la scène mais les marches de l’escalier qui descendent jusqu’au plateau semblent maudites : il dérape, remonte et trébuche sans cesse. Ce personnage infiniment burlesque ne cessera jamais de se démener face au décor pendant tout le spectacle : les situations qu’il traversera imprimeront sur cette figure un peu gauche le fantôme d’un Buster Keaton ou d’un héros tout droit sorti d’un film comique américain des années 20. À première vue, le sol du plateau est recouvert par un grand tapis persan vallonné, une moquette gondolée aux motifs orientaux. Conçu par la scénographe Nadia Lauro, le décor est en réalité une anamorphose qui, depuis les gradins, donne l’illusion d’une surface inégale et difficilement praticable. Déjà expérimenté dans la pièce Augures d’Emmanuelle Huynh, Nadia Lauro signe un troublant dispositif optique qui brouille nos repères visuels et notre perception de la réalité. Une fois découverte, l’illusion du relief continue néanmoins de persister, notamment par les cascades et le jeu extrêmement habile du performer Grégoire Monsaingeon.

Ce tapis aux dunes captieuses produit de nouvelles formes de trajectoires : les marches et les déplacements du danseur suivent les courbes illusoires comme autant de cheminements possibles. Les plis du tissu deviennent des arêtes saillantes, les multiples drapés sont autant de sommets du hauts desquels Grégoire Monsaingeon flirt avec le vide. Cette silhouette maladroite, les pieds au bord d’un précipice, n’est pas sans nous rappeler le Voyageur au-dessus de la mer de nuages de Caspar David Friedrich, figure romantique que Fanny de Chaillé parvient subtilement à faire voyager vers le burlesque.

Vu au Centre National de la Danse dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis. Un projet de Fanny de Chaillé. Interprété par Grégoire Monsaingeon. Installation visuelle Nadia Lauro. Composition son Manuel Coursin. Lumières Mael Iger. Photo de Marc Domage.