Photo David Houn Cheringer

Blasted, Karim Bel Kacem

Par Wilson Le Personnic

Publié le 8 avril 2015

Jouée pour la première fois en 1995, Blasted est la première pièce de Sarah Kane. Sous ses airs de drame bourgeois, ce huit-clos fait s’entrechoquer la violence d’une relation, entre un journaliste cinquantenaire et une jeune femme, avec celle d’une guerre civile. Le metteur en scène Karim Bel Kacem active le texte de la dramaturge anglaise dans un étonnant dispositif scénique autour duquel le spectateur est invité à s’asseoir : une grande boîte trouée par des fenêtres, des vitres qui sont en réalité des miroirs sans tain derrière lesquels nous voyons une chambre d’hôtel. Une jeune femme y est assise sur un canapé, elle semble attendre quelqu’un, ou quelque chose, un casque audio sur les oreilles.

Premier volet d’une série de spectacle intitulée Pièces de chambre – le second volet est une pièce pour enfant : Voyages de Gulliver de Jonathan Swift et le troisième volet sera Mesure pour Mesure de William Shakespeare – ce dispositif scénique est le fruit de la collaboration avec le réalisateur Adrien Kuenzy, la créatrice sonore Orane Duclos, la scénographe Hélène Jourdan et la créatrice lumières Diane Guerin. L’imposante installation ressemble aux coulisses d’un décor de cinéma et produit inéluctablement un lien avec le dispositif d’enfermement des émissions de télérealité où des candidats sont en permanence filmés à travers des miroirs sans tain. Les comédiens évoluent donc dans cet espace intime, parfois même à quelques centimètres de nos yeux, sans jamais avoir un contact visuel avec les spectateurs qui les entourent.

Comme placées sur écoute, leurs conversations sont retransmises simultanément via des casques audio à disposition des spectateurs devant chaque fenêtre. Etroitement liée au cinéma – la pièce est co-mise en scène avec le réalisateur Adrien Kuenzy – ce dispositif n’est pas sans nous rappeler certains films de genre parmi lesquels Blow Out (1981) de Brian de Palma, La Vie des Autres (2006) de Florian Henckel von Donnersmarck ou encore Un chant d’amour (1950) de Jean Genet. Un étrange sentiment de voyeurisme s’installe face aux conversations et aux comportements décomplexés du couple incarné par Bénédicte Choisnet et Jean-Charles Dumay, mais l’apparition d’un troisième personnage – le soldat – interprété par Julien Alembik fait basculer la mise en scène, au départ très réaliste, proche d’un fantasme visuel ou d’un cauchemar. Malgré ce glissement abrupte quelque peu perturbant, on reste fasciné tout le long du spectacle par ce dispositif qui reste avant tout le principal attrait de cette expérience scénique.

Vu au Théâtre Nanterre Amandiers. Mise en scène Karim Bel Kacem. Co-mise en scène Adrien Kuenzy. Scénographie Hélène Jourdan. Collaboratrice artistique Maud Blandel. Création sonore Orane Duclos. Création lumière Diane Guérin. Dramaturgie Olivia Barron. Avec Julien Alembik, Bénédicte Choisnet, Jean-Charles Dumay. Photo © David Houn Cheringer.