Photo Marie Noëlle Robert

La Belle Hélène, Lorenzo viotti, Giorgio Barberio Corsetti & Pierrick Sorin

Par Yannick Bezin

Publié le 9 juin 2015

Un opéra-bouffe du milieu du XIXe siècle peut-il être l’occasion d’une réflexion sur l’illusion théâtrale ? Sur la relation qu’entretiennent au XXIe siècle les arts de la scène avec la vidéo ? Sur la place du cinéma dans notre imaginaire ? Et tout cela sans se prendre trop au sérieux ? Réponse au Théâtre du Châtelet avec une nouvelle production de La Belle Hélène d’Offenbach. 15 ans après la désormais légendaire production de Laurent Pelly, dirigée par Marc Minkowski, c’est au tour du duo Corsetti et Sorin de mettre en scène l’enlèvement d’Hélène par Pâris. Les choix esthétiques du duo franco-italien ne doivent rien à ceux de leur aîné, si ce n’est un humour burlesque.

À l’heure où toute image, avant d’être montrée et vue, doit être travaillée et retravaillée à la recherche d’une irréelle perfection, Pierrick Sorin, loin de chercher à composer une image scénique léchée et de reléguer sa production en coulisse ou dans la cabine du technicien, la met au contraire en scène et sur scène. Si l’effet visuel de ces images composées peut faire penser à Méliès (têtes volantes des déesses, douche sur la plage, déplacements en avion, bateau ou moto), la comparaison s’arrête là dans la mesure où les films de Méliès n’exhibaient pas leurs trucages, la magie du cinéma résidant justement dans l’ignorance des procédés employés. Pierrick Sorin ose aller plus loin en faisant pleinement confiance au pouvoir de la scène pour opérer la synthèse des différents éléments présentés : le corps réel des chanteurs sur scène et leurs voix, leur image projetée sur écrans, les maquettes de décors et tout ce qui gravite autour. Ce qui n’est pas sans créer une légère déstabilisation du spectateur. Que doit-il regarder ? Le chanteur sur scène ou bien son image projetée sur l’écran ? Où est véritablement le spectacle ?

De plus, le procédé n’est pas sans quelques inconvénients, menus mais réels. Pour être en place à l’écran, le chanteur doit regarder la caméra sur pied et non la salle, privant ponctuellement les spectateurs du contact et du charme de son regard. De plus, il y a un décalage, bref mais néanmoins perceptible, entre la voix du chanteur et son image projetée. Heureusement, l’emploi de la projection en direct n’est pas permanent. Reste que l’exhibition sur scène de la fabrique des images apparaît comme le pendant visuel de la démystification de la mythologie grecque et, par elle, de la société moderne et de ses contradictions, au cœur du livret de Meilhac et Halévy.

La distribution, la mise en scène, les costumes et enfin l’humour ne sont pas sans évoquer une autre référence à l’œil du spectateur, non pas celle du Septième Art mais bien plutôt du Neuvième. S’ils s’étaient essayés à la mise en scène d’opéra, Uderzo et Gosciny auraient certainement proposé une vision des Grecs aussi tendre et drôle dans la distanciation critique (les jeux de l’esprit devenus un jeu télévisé par exemple). Les grandes figures de la mythologie esquissées ici pourraient très bien constituer des personnages de bande-dessinée. Le trio formé par Ménélas (Gilles Ragon), Agamemnon (Marc Barrand) et Calchas (Jean-Philippe Lafont) est tout particulièrement cocasse. Ce dernier assume d’ailleurs un rôle central dans cet opéra-bouffe car Chalcas parle bien plus qu’il ne chante. Il est un véritable médiateur, la cheville ouvrière, non tant des arrêts divins que des désirs humains. On saluera également la performance du mime-acrobate Julien Lambert, irrésistible dans le rôle muet du factotum que Giorgio Barberio Corsetti a pris la liberté d’ajouter à la distribution. Gaëlle Arquez est l’incarnation rêvée pour le rôle d’Hélène, non seulement par sa beauté mais aussi par son jeu de scène et sa voix (couleur chaude et métallique, émission puissante, diction parfaite, peu de vibrato).

Le Chœur du Châtelet est très justes, tout en clarté et en netteté. Si Minkowski proposait jadis une interprétation de la partition qui en soulignait toute la science et les références, le jeune chef Lorenzo Viotti, à la tête de l’Orchestre Prométhée, en donne une lecture fraîche et élégante. L’ensemble de l’équipe, chanteurs, choristes et danseurs, prend sur le plateau un plaisir évident et communicatif.

Vu au Théâtre du Châtelet. Livret Henri Meilhac et Ludovic Halévy. Direction musicale Lorenzo Viotti. Mise en scène et Scénographie Giorgio Barberio Corsetti. Mise en scène, scénographie et vidéo Pierrick Sorin. Photo de Marie-Noëlle Robert.