Photo © Joelle Bachetta copy

Autóctonos II, Ayelen Parolin

Par Yannick Bezin

Publié le 21 novembre 2017

Festival international des arts vivants, le Next Festival se déploie dans toute la métropole européenne de Lille : Villeneuve d’Ascq, Béthune, Valenciennes, mais aussi Courtrai et Tournai en Belgique. Le Gymnase de Roubaix, Centre de Développement Chorégraphique, accueille quant à lui la création française de Autóctonos II de Ayelen Parolin. Danseuse formée en Argentine, aujourd’hui installée à Bruxelles, Ayelen Parolin présente depuis 2004 son travail chorégraphique.

Dans le noir absolu, le spectateur entend les danseurs arriver sur le plateau. Un rythme se fait entendre émis par un instrument qu’il est impossible d’identifier immédiatement. Rien de connu ne sonne comme cela. Très lentement la lumière se fait sur le plateau, ne permettant cependant dans un premier temps que de distinguer des silhouettes. Anonymes, sans visages mais cependant physiquement et vestimentairement individualisés, quatre danseurs (trois femmes et un homme) émergent de l’obscurité. Sur l’avant du pied, dans une position semblable à celle d’un mannequin de vitrine, ils pivotent sur eux-mêmes. L’ensemble du corps (hanche, torse, épaule) étant entrainé par le mouvement des jambes. Aucune expression ne traverse leur visage. Le regard est vide, perdu au loin. Ils tournent. Ils tournent sur eux-mêmes et tournent aussi en cercle.

Si, dans un premier moment, de façon superficielle, le spectateur croit voir le même mouvement se répéter identiquement chez les quatre danseurs (effet dû aussi en partie à la faible luminosité), il perçoit progressivement que chaque répétition introduit en fait d’infimes différences. Chaque répétition constitue finalement un événement toujours nouveau et irréductible à ce qui l’a précédé. Ce qui conduit le mouvement doublement parfait des danseurs tournant sur eux-mêmes et tournant également en cercle à s’ouvrir progressivement pour au final éclater en lignes singulières. Sur ce principe deuleuzien de la répétition et de la différence, le propos de la chorégraphe peut aussi gagner en significations sociales et politiques. Le cercle initial, miroir de l’éternité, mouvement sans fin, se rompt progressivement, s’ouvre en une ligne souple libérant chacun des éléments qu’il contenait dans tous les sens du terme. La répétition, l’ordre et l’uniformité laissent ainsi surgir des figures singulières : des individus au physique et à la voix propres.

Créée en collaboration avec les interprètes, l’œuvre se révèle exigeante pour les danseurs. L’impassibilité initiale de leurs visages laisse lentement poindre l’effort qu’exige la répétition parfaite de leur mouvement. Puis, la libération des corps et des individualités s’opérant, la transe les gagne et l’effort se fait épreuve de résistance. L’œuvre se clôt sur des mouvements plus libre et plus lâches, au son du souffle de chaque interprète, sur le visage desquels la fatigue se marque. Ayelen Parolin décrit cette création comme un quintet réunissant quatre danseurs et une musicienne. Autóctonos II est en effet indissociable de la performance musicale produite sur le plateau par Lea Petra. Héritière et continuatrice des Sonates et interludes pour piano préparé de John Cage, Lea Petra tire de son piano en ensemble de sonorités, de bruits et de rythmes qui semblent au début de la pièce mener la danse puis, progressivement, laissant le pouvoir aux interprètes, accompagner leur libération et leur processus d’individuation. L’accélération paroxystique de la fin de l’œuvre, tant de la musique que des mouvements singuliers, frontaux et accompagnés de cris des danseurs, entraîne le spectateur dans la transe libératrice et jubilatoire qu’il perçoit.

L’espace du Gymnase de Roubaix est particulièrement bien adapté à cette œuvre car le plateau est de plain-pied avec la salle. Sans être intimiste cette création demande une salle à sa mesure qui n’en dissout pas le propos dans l’espace et qui ne positionne le spectateur ni à distance ni en surplomb des danseurs. L’horizontalité du regard contribue grandement à l’effet chorégraphique. L’acoustique, du fait du rôle central de la musique, y étant aussi déterminante. Avec un vocabulaire chorégraphique d’une singulière économie, Ayelen Parolin parvient à créer une pièce qui maintient constamment l’attention, offrant au spectateur l’expérience rare d’une contraction du temps. Le minimalisme qui s’y trouve à l’œuvre ne limite ni la beauté de la proposition chorégraphique, ni l’intelligence et la force de son propos.

Vu au Gymnase CDCN à Roubaix dans le cadre du Festival Next. Concept et chorégraphie Ayelen Parolin. Interprètes Daniel Barkan, Jeanne Colin, Marc Iglesias et Eveline Van Bauwel. Création et interprétation musicale Lea Petra. Photo © Joelle Bachetta.