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Artdanthé « self service » la soirée à composer sur place !

Par Guillaume Rouleau

Publié le 25 mars 2016

Pour sa 18e édition, le festival pluridisciplinaire Artdanthé proposait une soirée à la carte le 19 mars 2016, où l’ancienne ministre de la culture, Fleur Pellerin, côtoyait l’acteur Jean-Pierre Marielle sur fond de harpe. Le programme annonçait cette soirée comme « composée d’un spectacle, d’un concert et de 10 formes plus ou moins courtes ». Dix « formes plus ou moins courtes », l’expression intrigue. L’art, la danse, le théâtre et puis le reste, ces formes qui échappent aux conventions. Le ton est provocateur aussi : « Impossible de tout voir ! À moins que… ». Formule qui a la capacité d’inciter le lecteur, l’éventuel spectateur, à défier l’espace et le temps pour pouvoir dire : « J’ai tout vu. Pas toi ? ». Explications.

18h40 – Théâtre de Vanves. Eric Arnal Burtschy nous invite en personne à découvrir son installation sur la scène du Théâtre. Nous entrons alors dans un lieu obscur, enfumé, et nous allongeons. Un rai de lumière apparaît soudain et tranche la pièce silencieusement, suivi d’autres, d’abord au plafond puis à terre. Les trajectoires horizontales, verticales, diagonales de ces pâles lignes lumineuses, leurs cadences, captivent le regard qui tente d’anticiper en vain des motifs. Le titre, « Deep are the woods », prend sens, s’épaissit doucement. Ces forêts obscures dont on n’aperçoit pas la lisière, dont les parties invisibles rassurent ou effraient, nous y sommes immergés, indifférents à l’extérieur, dans une progression qui ne s’arrête pas, qui invoque le vide et le plein, le proche et le lointain. Après Bouncing Universe in a Bulk en 2013, essai sur la matière noire, nous assistons ici à une chorégraphie lumineuse qui démontre que l’on peut suggérer beaucoup avec peu.

19h – Galerie du théâtre. Un photomaton trafiqué est installé dans le hall. Le photomaton, conçu en 2008 par Kim Lan Nguyen Thi est une réflexion sur l’identité initiée alors que le ministère de l’intérieur menait campagne pour normer les photos des documents officiels. L’artiste a donc décidé de construire son propre appareil. Une fois le rideau tiré, on se retrouve face à un écran sur lequel s’affiche une série de questions : « La dernière fois que vous avez ri ? À qui ressemblez-vous ? Êtes-vous amoureux ? Etc. » Autant de manières de dresser un portrait où les réponses remplaceraient les lunettes de soleil, les sourires, les coupes de cheveux non réglementaires, en réaction à la « neutralité » imposée par l’État. On récupère à la sortie cette carte d’identité qui ressemble à une carte IGN avec une main agrandie au microscope, allusion aux empreintes digitales, et où les réponses sont écrites au feutre rouge. Une plaquette de quatre photos y est jointe. Photos prises à notre insu. Photos où l’on est surpris en plein interrogatoire. La forme identitaire est une forêt bien dense décidément.

19h30 – La panopée. À côté du théâtre, on se demande en allant à La panopée ce que sera cette Représentation de trop interprétée par Dominique Gilliot, Flore Cunci et Maeva Cunci. Est-ce déjà la fin de la soirée qui s’annonce ? Est-ce une manière d’ironiser sur sa carrière, la carrière de beaucoup d’autres ? Une toile blanche est tendue derrière la scène. Des objets divers sont alignés sur la droite. Des instruments de musique sont empilés à gauche. L’éclairage est tamisé, dans des teintes chaudes. Et le comique de Gilliot est immédiat : des quelques notes jouées sur un synthétiseur aux textes qui mobilisent l’autodérision et l’absurde. Très inspirées mais incapables de se décider sur comment commencer, les trois interprètes décident de provoquer le spectacle à coup de dés. Chaque numéro est une suite de gestes et d’objets associés, le numéro 14 étant une imitation de Jean-Pierre Marielle, le 3 une danse improvisée. Jouer avec la géométrie et la logique provoque ici une lassitude complice à l’égard d’un devoir représenter, d’un devoir se (re)présenter. Ce n’est pas la représentation de trop mais le trop de représentations qui est dénoncé. Représentation de trop, dont nous savons en sortant qu’elle loin d’être la dernière. Heureusement.

20h30 – Hôtel de Ville. Si une personne s’est mise en représentation jusqu’à l’excès lors de ces derniers mois, c’est bien Fleur Pellerin. Et c’est à l’Hôtel de Ville, lieu qui souligne les liens de l’État à la culture, que Thibaud Croisy a organisé une cérémonie d’adieu en souvenir d’une culture technocratique. Dans une grande salle dorée sont disposés une estrade et un pupitre. Thibaud Croisy, en costume cravate, l’air grave, remonte l’allée centrale, se racle la gorge et ajuste le micro. Fleur Pellerin est partie. Fleur Pellerin le hante. Son oraison funèbre Une tombe, une fleur, est une critique acide de ce poste ingrat de fonctionnaire. Mais après lui avoir dit « au revoir », Thibaud Croisy nous dit « je me souviens » et ouvre ses carnets à rêves. 4 rêves non-censurés en présence de Fleur Pellerin, dont nous n’en entendrons malheureusement que trois, prolonge l’oraison jusqu’à la déraison. Ses récits hilarants invoquent sans cesse une polysémie à laquelle Freud aurait pu consacrer plusieurs ouvrages. Thibaud Croisy raconte son sauvetage de Fleur Pellerin dans un immeuble en feu, sa visite officielle pornographique du musée Gustave Moreau et Fleur Pellerin livrée à une bande de chevaux anthropophages. Tout cela sur un ton bureaucratique, où l’éloquence de l’interprète amuse par l’intimité créée. L’auteur de Je pensais vierge mais en fait non et de témoignage d’un homme qui n’avait pas envie d’en castrer un autre moque une politique culturelle sans audace.

21h30 – Hôtel de Ville. La politique française est remplacée par une séquence musicale. Laure Brisa, assise entre une harpe et un ensemble de claviers, percussions et pédales va superposer les nappes sonores. Paysages de plus dans ce festival. La musique et la poésie de cette multi instrumentiste également comédienne, formée au conservatoire et à l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle de Bruxelles, séduisent. Ses morceaux s’assemblent en une promenade auditive. Ses gestes, mesurés, rythmés, au service de la musique, rappellent que la musique est aussi liée au mouvement, à une interaction, à des actions entre les corps et des instruments. On repense alors aux variations lumineuses d’Eric Arnal Burtschy, à l’identification de l’identité de Kim Lan Nguyen Thi, à la représentation non pas de trop mais indispensable de Dominique Guillot et au cynisme de Thibaud Croisy sur des interprétations de l’album Leaving Room de Laure Brisa, convaincu que Artdanthé reste un « living festival ».

La réussite de cette soirée à composer sur place tenait à la diversité des propositions, à la qualité des interprétations ainsi qu’à l’organisation du festival, qui élargit la danse et le théâtre à des pratiques inédites.

Vu au Théâtre de Vanves dans le cadre du festival Artdanthé. Photo de Thierry Chancogne / Dominique Gillot, La représentation de trop.