Photo Sebastien Erome

Are Friends Electric ? Yuval Pick

Par Céline Gauthier

Publié le 4 avril 2016

Avec sa nouvelle création, Yuval Pick fait le choix d’un univers éclectique et électrique, animé par les hallucinations sonores du groupe Kraftwerk. Une pièce pour six danseurs, deux femmes et quatre hommes, qui magnifient par la danse les pulsations de la musique électronique.

Une installation lumineuse barre la scène d’une rangée de néons suspendue depuis les cintres lorsqu’éclate une mélodie entraînante digne d’une boîte de nuit. Une étrange atmosphère presque festive qui contraste avec l’austérité apparente des danseurs, absorbés par l’exécution d’une partition gestuelle exigeante, soulignée par de sobres costumes en dégradé de noir et blanc.

La pièce se propose comme une variation autour du geste de torsion, décomposé et répété sous toutes ses formes. Les danseurs s’emploient à chercher dans leur propre corps les mécanismes souterrains d’un mouvement perpétuel d’oppositions et de désaxements successifs, de rotations de l’épaule ou de la hanche comme gestes émergés d’une tension qui parcourt le buste tout entier : une danse organique qui témoigne d’un extrême engagement musculaire et postural.

La partition sonore apparaît curieusement disparate, et la musique laisse place à des chants que les solistes habillent de voluptueuses contractions organiques ; puis vient le silence d’où saillit le battement régulier d’un métronome, comme un écho à la pulsation rapide de leurs cœurs. Un élan vital soutenu par le retour de la musique qui emplit tout l’espace ; tandis que la mesure s’accélère la soliste en avant scène accomplit d’effrénées contorsions presque convulsives.

Les danseurs se regroupent dans un même espace et l’on assiste avec jubilation à la manière dont le geste se propage et circule d’un corps à l’autre, une contamination tonique qui témoigne de l’attention que tous se portent. Ils se rapprochent d’un bras tendu, d’une main ou d’un geste de la tête furtivement projetée comme une saillie vers son partenaire ; par deux ils se font face et dansent comme avec le reflet l’un de l’autre, résurgence lointaine des danses de couples populaires. Il ne s’agit pourtant pas de se fondre dans l’autre mais de souligner ce qui les rapproche : la danse se fait polyphonique tandis qu’au rythme du métronome un danseur arpente le plateau et déclame une suite de chiffres à la signification mystérieuse. Tous les interprètes alors mêlent leur voix à la sienne, chacun dans une langue différente, redoublée par un concert de paroles enregistrées.

Une Babel moderne dont les effets se dissipent par une danse joyeuse où s’alternent les gestes saccadés inspirés du voguing et les cabrioles alertes et moelleuses des solistes. Dans un demi-cercle imparfait s’esquisse une parade d’échanges furtifs et de regards, et la danse se propose d’abolir un instant les normes corporelles : un simple toucher de la main suffit alors à provoquer chez l’autre le geste ample d’une contraction qui se projette dans le dos en un flux continu, un mouvement souple et ressort contenu par la musique qui s’adoucit peu à peu, dans une mélodie gestuelle tour à tour dynamique et tendre.

Are Friends Electric ? rafraichit les codes de la danse chorale sans tout à fait les bouleverser ; la pièce propose une déclinaison ludique et entraînante de l’énergie partagée, et le spectateur lui-même participe de cette sensation collective à mi chemin entre la torpeur et la transe.

Vu au 104 dans le cadre de Séquence Danse Paris. Chorégraphie Yuval Pick. Musique Kraftwerk, Franz Schubert et Olivier Renouf. Danseurs Julie Charbonnier, Madoka Kobayashi, Fernando Carrión Caballero, Jérémy Martinez, Adrien Martins et Alexander Standard. Photo © Sebastien Erome.