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Antigone, Ivo Van Hove

Par Sibylle Tailler

Publié le 4 mai 2015

Ivo Van Hove propose une adaptation d’Antigone tiraillée entre l’Antiquité et notre époque. Les comédiens évoluent dans un décor moderne : un grand mur se dresse, où sont projetées des vidéos en arrière-plan de l’action (paysages désertiques balayés par les vents, silhouettes floues d’individus marchant dans la rue…). Dans cette paroi, se dessine un grand cercle ; un subtil jeu de lumière et d’occultation en fait l’image de ce jour tourmenté qui passe, jour fatidique où l’irrémédiable a lieu. A l’avant du plateau sont alignés les éléments d’un bureau moderne : casiers de rangements remplis de dossiers, canapé en sky gris, tables de travail, lavabos de kitchenettes… Les décors, les projections et les costumes forment une image en niveaux de gris – acier, blanc, noir avec quelques touches de couleurs chaudes – qui traduit visuellement la lecture très froide que fait Ivo Van Hove de la pièce.

Alors que leurs frères Etéocle et Polynice viennent de s’entretuer, Antigone annonce à Ismène qu’elle va enterrer Polynice, contrairement au décret proclamé par Créon, nouveau maître de Thèbes, qui ordonne de rendre au premier les honneurs funèbres et de laisser le cadavre du second sans sépulture. Lorsque Créon apparaît, vêtu d’un costume- cravate noir et d’une chemise blanche, il évoque un homme politique ou un homme d’affaires moderne. D’emblée, Antigone est transposée dans les lieux du pouvoir d’aujourd’hui, pouvant être interprétés comme un quartier d’affaires ou une sorte de cellule de crise étatique.

Le début du spectacle propose une adaptation intéressante et plutôt convaincante, Juliette Binoche jouant une Antigone sombre et déterminée et Patrick O’Kane un Créon implacable et convaincu que sa mission est de sauver la Cité. Toutefois, le jeu des comédiens se révèle rapidement très inégal. Alors que les personnages d’Hémon et Ismène n’ont guère d’envergure, plusieurs seconds rôles sont très bien incarnés, notamment le garde (Obi Abili) et certains membres du choeur, le jeu et la présence de Kathryn Pogson étant particulièrement remarquables.

La mise en scène statique et glaciale reste sur la longueur d’une grande platitude, provoquant un manque d’émotions, d’élan et d’énergie qui va à l’encontre de la charge passionnelle de la pièce. Si quelques moments de grâce viennent émailler le spectacle, notamment la très belle scène d’enterrement de Polynice par Antigone, l’amour entre Antigone et Hémon est absolument impalpable, tandis que le dilemme de Créon – son décret l’obligeant à mettre à mort sa propre nièce – reste superficiel. Juliette Binoche incarne une Antigone, non pas révoltée et enflammée, mais résignée, calme, soumise à son destin. Cette aridité s’impose tant et si bien que les larmes d’Antigone puis celles de Créon à la fin de la pièce sonnent terriblement faux.

Voulant faire d’Antigone une lecture politique, montrant « l’exploration du bien et du mal au sein de l’esprit humain aux prises avec une situation de crise », Ivo Van Hove tend à déshumaniser ses personnages qui deviennent des figures de fables. Peut-être cette éviction des passions est-elle une manière de faire écho à la société actuelle. Pourtant, c’est bien la tension entre d’une part la raison d’Etat et la cohésion de la Cité et d’autre part les liens affectifs et l’éthique portée par chaque être humain qui fait toute la profondeur de la pièce de Sophocle : si ces derniers ne résonnent pas suffisamment, c’est toute la portée du propos qui est ébranlée.

Vu au Théâtre de la Ville à Paris. Nouvelle traduction Anne Carson, mise en scène Ivo van Hove. Décor et lumières Jan Versweyseld. Costumes An d‘Huys. Dramaturgie Peter van Kraaij. Photo de Jan Versweyveld.